Lettre d’un anonyme à la rédaction de Culture 5
Mon cher ami,
Les nouvelles que je vous envoie de la capitale de la batellerie ne sont point rassurantes tant elles sont évoquantes des us et coutumes qui vont galopantes dans notre beau pays de France qui fut, malgré tout, tant paisible avant les remuements religieux du temps présent.
Hier, place de la Mazellerie si bien nommée hélas pour ce qu’il est d’usance d’y sacrifier le bétail, hier donc un grand malheur a fait couler le sang tant précieux d’un bon maitre d’école que des convictions déplaisantes à certains avait condamné. Et bien qu’à cette heure les larmes m’en coulent encore, je vais vous raconter ce qu’il est advenu.
Il était l’heure de la fin du jour quant un professeur et homme de science, disciple de Maitre François Rabelais, regagnait ses pénates après une longue journée passée à transmettre les savoirs indispensables à l’épanouissement de ses élèves. Tout son enseignement était marqué du sceau de la critique de la pensée unique et de son enthousiasme pour les savoirs éclairés. En un mot il transmettait aux enfants qu’on lui confiait son amour pour l’humanisme, cette philosophie dont je vous sais un ardent défenseur et qui supplante toutes les croyances divinatoires d’où qu’elles viennent.
A donc, notre homme cheminait paisiblement quand, surgissant de nulle part, un quidam hurlant lui intima l’ordre de cesser, séance tenante, toute fréquentation des écoles où il répandait, selon lui, des paroles impies.
Il n’eut pas le temps de tenter une explication ni de se défendre.
« Tu meurtris nos oreilles de tes incantations ! Tu n’es qu’un apostat ! »
Le quidam au comble de la fureur hurla qu’il fallait en finir avec cette engeance et que seule la mort d’un impie lui ferait atteindre les béatitudes du seul dieu que l’on se devait d’honorer, le sien !
Ce disant, il brandit le couteau qu’il dissimulait dans sa manche et décapita le professeur non sans avoir clamé auparavant qu’il fallait, haut et fort, faire connaitre son acte urbi et orbi.
Joignant le geste à la parole, il brandit au front des passants incrédules et passifs la tête du malheureux.
Très cher ami, je ne sais si je dois poursuivre plus outre tant la frayeur m’envahit à vous dire qu’une fois son forfait accompli, le quidam maculé du sang d’un innocent quitta le pavé aussi soudainement qu’il avait surgi, laissant au regard des badauds un corps sans vie et pour tout dire coupé en deux.
Je vous laisse à penser ce que votre conscience vous commande devant une telle barbarie. Pour ma part je…,mais ce à quoi je songe n’a aucune importance en dehors du huis clos de mon cœur.
Alertés par ce vacarmes, les archers du guet ne mirent pas de temps à capturer notre assassin. La suite de ce qu’il advint ? Je ne vous en dirai que le final.
Au petit matin, dans le port qui jouxte au sud les remparts de la cité, suspendus au mat relevé d’un chaland , on pouvait contempler les corps démembrés du bourreau fanatique et des ses acolytes. La justice des hommes était passé.
A ce spectacle, je n’ai pu que penser : l’homme était un loup pour l’homme. Mais je sais aussi que la fraternité n’étant pas un vain sentiment, je m’en vais prier, je ne sais plus qui, pour que vous ne vissiez jamais telle navrerie. Je ne saurais clore cette missive sans vous souhaiter malgré tout, tous les bonheurs et félicités. Que l’amour, si proche de la fraternité habille votre quotidien et vos jours à venir.
Mon ami si lointain, n’oubliez pas d’être heureux.
Conflans-Sainte-Honorine, le jour de la saint Barthélémy de l’an de grâce 1572.
(auteur anonyme)