Episode #7 où Célia trouve enfin le bout du fil de la pelote.

lundi 15 mai 2023

proposé par Céline Bouyer, Isabelle Maillard




Episode #7

A nouveau, Célia se trouvait face au docteur Kaplan, le doigt du thérapeute oscillant lentement de droite à gauche devant ses yeux.
Lors des trois dernières séances, il lui avait ainsi fait revivre la fusillade de la Belle Equipe – le jour anniversaire du 13 novembre, une coïncidence qui avait semblé le réjouir – puis, son humiliation devant tout un amphithéâtre en cours d’histoire de l’art, pour enfin aborder l’absence de son père.
Pendant leur dernière séance, un souvenir fort avait ainsi refait surface. Le visage sévère de Madame Pujol s’était imposé dans son esprit. Crispée sur son pupitre, Célia se tordait les mains et n’osait pas lever la tête pour affronter son regard perçant. La maîtresse de CP était mécontente, pire même : elle était déçue. Les vacances de la Toussaint étaient passées et Célia n’avait toujours pas fourni sa fiche d’informations dûment complétée, avec l’identité de ses parents, leur adresse et leur numéro de téléphone. Honteuse de n’avoir rien à écrire dans la partie dédiée au père, Célia avait caché la fiche au fond de son cartable pendant des semaines. Jusqu’à ce jour où Madame Pujol l’avait prise à partie devant toute la classe, raillant son étourderie et son manque de sérieux.
Le docteur Kaplan lui avait demandé d’aller encore plus loin, de suivre le fil de ses souvenirs jusqu’à arriver à un nœud. Célia, disciplinée, obéit, les yeux rivés sur le doigt qui la berçait…la rentrée à l’école élémentaire, la peur au ventre…l’été au bord de la mer, chez l’oncle Jean…l’anniversaire de ses cinq ans où Clarisse avait sangloté tout l’après-midi, les yeux rougis… Célia se tortilla sur son fauteuil et détourna la tête.
— Il s’est passé quelque chose autour de mon cinquième anniversaire. Ma mère n’allait pas bien, enfin encore moins bien que d’habitude. Elle avait accepté d’inviter ma meilleure amie Yuan et d’acheter un cake et quelques ballons. Je me souviens que Clarisse était restée assise tout le temps à regarder par la fenêtre et qu’à un moment, je lui ai demandé si on pouvait manger le gâteau. Elle m’a dit qu’on n’avait qu’à se débrouiller. On a sorti le cake de l’emballage et on a pris quelques morceaux.
— Avez-vous une idée de la raison pour laquelle elle était dans cet état ? Je doute fort qu’elle se soit ouverte à vous mais les enfants détectent souvent des signaux chez leurs parents, qui peuvent leur faire comprendre beaucoup de choses. Une réaction, une phrase, un objet peuvent être autant d’indices sur la vie d’une famille.
Célia sonda sa mémoire. Sa mère ne lui avait jamais rien confié, bien entendu. Cependant, un détail de cet après-midi surgit dans son esprit, comme une minuscule bulle de lumière.
— Pour manger le gâteau, j’ai proposé à Yuan d’utiliser ma dînette et de jouer au thé chez la reine d’Angleterre. C’était mon jeu préféré mais je n’avais jamais eu d’amie pour le partager. Je prenais toujours les affaires de ma mère pour me déguiser, ses bijoux, ses foulards. J’ai ouvert le premier tiroir de la commode où elle les rangeait et j’ai vu une boîte que je n’avais jamais vue avant.
La bulle de lumière éclata, projetant un éclairage nouveau sur les souvenirs de Célia.
— Il y avait un petit gant bleu turquoise à l’intérieur. Un gant tout seul. J’ai juste eu le temps de le toucher, je me souviens qu’il était d’une douceur incroyable… Clarisse est arrivée derrière moi, elle était très en colère. Elle a appelé les parents de Yuan pour qu’ils viennent la chercher et elle a passé le reste de la journée enfermée dans sa chambre. Mon amie n’est plus jamais venue à la maison, après ça.
Un gant unique. Pourquoi gardait-elle un gant unique ? Pourquoi était-elle si triste ce jour-là ?
— Dès que j’ai pu, je suis retournée dans sa chambre. L’étui n’était plus à sa place. Je lui ai demandé où elle l’avait mis mais elle s’est moquée de moi. Elle m’a dit que j’avais rêvé, que j’avais trop d’imagination… Nous n’en avons plus jamais parlé.
Soudain, un sentiment d’urgence submergea Célia. Elle n’avait plus rien à faire dans ce cabinet. Le docteur Kaplan avait ouvert la porte sur son passé et maintenant, Célia voulait fracasser toutes les fenêtres, pousser les murs, éventrer tous les coffres fermés à double tour. Un vrai ménage de printemps. Elle rassembla en vitesse ses affaires et s’excusa à peine auprès de son thérapeute. Le docteur Kaplan la suivit d’un regard bienveillant jusqu’à la porte de son cabinet.
Célia sortit son téléphone et tapa un message à l’intention de Matthieu. En quelques échanges, ils convinrent d’un rendez-vous dans un café du XXe arrondissement, à la fin de la tournée de l’infirmier. Célia s’assit sur un banc pour reprendre ses esprits. Il lui restait deux heures à attendre avant le rendez-vous et elle se sentait comme électrisée. Impatiente, elle vérifiait en permanence l’heure indiquée sur son téléphone. Tout à coup, il se mit à sonner.
— Mademoiselle Célia, c’est Nadia Alami ! Dites donc, on vous voit plus rue Orfila. Obligée de vous appeler sur votre portable, c’est que je veux pas déranger moi. Vous n’êtes pas occupée, dites ? Bon, j’ai du biscuit pour vous.
— C’est gentil. Pour le moment je n’ai pas faim mais je viendrai prendre le thé avec vous bientôt, c’est promis.
— Mais non, nigaude ! C’est du langage de police pour dire des informations ! Voyez, du biscuit c’est quelque chose à se mettre sous la dent, des indices croustillants ! Dans l’affaire du gant rose, j’ai du biscuit, et du bien consistant encore. D’abord, les trucs de Fiona, ça n’a rien donné. Chou blanc. Et puis j’ai fait travailler mes neurones, j’ai pensé "la laine de yack, c’est pas commun et ça vient du Népal". Alors, ni une ni deux, j’ai filé à la maison culturelle népalaise, près du canal de l’Ourcq. Des gens adorables, ils préparaient leur fête de Noël – enfin ça s’appelle pas comme ça chez eux mais c’est kif-kif. Des histoires de jolies lumières, de bonne bouffe et de cadeaux.
— Madame Alami, concentrez-vous sur le biscuit.
— Oui pardon, je m’éparpille. Là-bas j’ai montré le gant à tout le monde et il y a une femme qui m’a confirmé que c’était du yack. C’est Samita, elle est chargée des partenariats, voyez. Ça fait pas longtemps, avant c’était une française amoureuse du Népal qui s’en occupait. Et entre autres, Samita fait venir de là-bas des babioles qui sont vendues à la boutique. J’ai trouvé du thé d’ailleurs, ça vient de l’Himalaya. Faudra que vous veniez pour qu’on le goûte.
— Madame Alami…
— J’y viens, j’y viens. Samita m’a dit que votre gant et son jumeau avaient justement été mis de côté par l’ancienne chargée des partenariats.
Célia sentit son pouls s’accélérer.
— Vous avez son nom ? Elle est toujours à Paris ?
— J’ai son nom et son adresse. Une Madame de Bouillon, rue d’Artois, dans les beaux quartiers. Sûrement une dame de la haute. Samita m’a dit qu’elle avait dû laisser tomber l’association après un grave accident. C’est que Samita et moi on a bien discuté, figurez-vous que c’est une fan de Columbo. Là où n’est pas d’accord, c’est sur Derrick. Elle trouve ça formidable, tandis que le style allemand, moi, c’est pas mon truc, voyez.
Après l’avoir remerciée et félicitée pour cette enquête rondement menée, Célia lui assura qu’elle viendrait dès que possible lui rendre visite. Pour le moment, la jeune femme avait une autre pelote à démêler.


Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Une fois publié, pour effacer ou modifier votre message : contact@balado-gazette.fr